Culture papier – N°22

Le magazine Culture Papier consacre une double page à l’exposition « La presse en liberté » dans son édition N°22 de Mars-Avril avec une interview du Collectionneur Alain Schott, ainsi que de Jean-Frédéric Jauslin Ambassadeur, Délégué permanent de la Suisse auprès de l’uNESCO
et de l’OIF.

La liberté de la presse s’affiche à la Une !


La Confrérie de Compagnons de Gütenberg rend hommage à la liberté de la Presse en exposant la collection d’Alain Schott à l’uNESCO. Ce collectionneur avisé rassemble depuis plus de 30 ans les premiers numéros de journaux et magazines français. Amoureux de la presse, il en réaffirme l’importance, à l’occasion de l’exposition « La Presse en Liberté ».


Comment avez-vous commencé votre collection ?


J’ai passé une partie de ma vie professionnelle en agence de publicité dans le service
des médias.

 

J’ai quitté mon premier poste avec un carton contenant une cinquantaine de numéros 1. De fil en aiguille, l’idée d’étoffer cette collection s’est imposée. Il est toujours fascinant
de voir un titre se créer, avec sa recherche de typo, de mise en page, de format, de papier et d’innovations créatives, et surtout… sa volonté de changer les choses ; un nouveau journal ou magazine porte avec lui une ambition économique mais avant tout une certaine vision du monde. C’est toujours une aventure qui se met en marche – j’ai moi-même été l’un des quatre fondateurs du quotidien InfoMatin en 1994 – et j’ai vécu le moment intense du lancement du numéro 1 !

 

Au bout de 30 ans, je suis fier d’avoir recueilli 3.000 titres même si cela reste infime au regard des 300.000 titres qui ont vu le jour depuis La Gazette de Renaudot parue
en 1631 ! Mon premier numéro date de 1750. Dans la mesure du possible, je me fixe des limites en prenant en compte des critères d’intérêt historique, iconographique, de type de papier, de mise en page. Je suis loin d’en avoir fait le tour.


Que représente votre collection selon vous ?


Sans doute une part de notre patrimoine culturel qui mérite d’être préservée.

 

Je possède quelques exemplaires que même la BnF ne détient pas. Et je tombe parfois sur des pépites comme le numéro 0 de Libération de 1973 conçu et rédigé en partie par Jean-Paul Sartre. Il est difficile de les trouver. Car autant pour les livres, le dépôt légal est respecté, cela n’a pas toujours été le cas pour la presse notamment contestataire au XIXème et début du XXème siècle. Il existe un respect des livres mais pas des magazines et encore moins des journaux. J’ai mis 20 ans à trouver le premier numéro de L’Equipe. Il est paradoxalement plus facile de trouver une encyclopédie Diderot d’Alembert de 1760 que le numéro 1 de L’Aurore paru un siècle après d’un tirage dix fois plus important ! Mais d’autres collectionneurs se sont manifestés à cette occasion. Ainsi, Le Journal du Parlement nous prête le premier exemplaire du Journal du Parlement de Paris, qui date de 1648 et qui est la première des publications officielles consacrées aux débats parlementaires.


Par quel biais avez-vous été sollicité par la Confrérie de Gutenberg pour exposer à l’unesco ?


Lors d’un dîner de la Confrérie, Jean Miot m’avait évoqué son souhait de mettre sur pied un événement culturel autour de la presse. Je lui ai proposé de prêter à la Confrérie une partie de ma collection. Les ambassadeurs de délégations française et suisse de l’UNESCO ont été séduits. Des sponsors se sont fédérés et ont rendu le projet possible et ambitieux.


Quelle partie de votre collection sera visible ?


150 à 200 titres seront accrochés. Nous avons essayé de créer un ensemble cohérent et impactant pour le visiteur : des « Une » puissantes qui suscitent l’émotion, ravivent la mémoire et nous questionnent sur l’avenir. Les fondamentaux du passé restent valables aujourd’hui. La liberté de la Presse doit être plus que jamais défendue ! D’autant qu’elle reste malmenée dans de nombreux pays, y compris les plus grands…


Si vous deviez élire un trio parmi votre collection, quels exemplaires retiendriezvous ?


Par goût, et pour son contenu rédactionnel, le premier numéro :

 

– Des Araignées des mouches qui date de 1869, écrit par une contemporaine de Louise Michel, qui défendait le droit des femmes, mais l’objet en lui même est à pleurer quant à sa mise en page, ses textes serrés…

 

Mais aussi, des Unes qui relèvent de la puissance visuelle de véritables créations graphiques, et je ne citerai que deux exemples :

 

– Le Diable, titre datant de 1903 où un vilain diable tient dans sa main un ecclésiastique, un juge et un militaire, expliquant qu’il les a faits à son image.

 

– La Gifle, impensable aujourd’hui, avec une première parution en 1910, qui représente à mes yeux une belle forme de courage journalistique, dénonçant le comportement de l’Allemagne envers la France.

 

À mon sens, au plan de la libre circulation des idées et du pouvoir d’influence, l’écrit demeurera, quel qu’en soit le support, durablement essentiel et universel.


La Presse en liberté : 3 siècles de premiers numéros historiques et de « une » emblématiques
francophones et internationales. Exposition, Café de la presse, Tables rondes du 23 au 29 mars 2017. Siège de l’UNESCO – 7 place de Fontenoy – 75007 Paris.


La préservation du savoir reste une tâche régalienne


Ancien directeur de la Bibliothèque Nationale Suisse, S. Exc. M. Jean-Frédéric Jauslin, Ambassadeur, Délégué permanent de la Suisse auprès de l’uNESCO et de l’OIF copréside avec son homologue français, S. Exc. M. Laurent Stéfanini l’exposition La Presse en liberté.


Que représente, pour vous et pour l’unesco, cette exposition La Presse en liberté ?


C’est un bel enchaînement d’opportunités et de rencontres convergentes. J’ai entrainé avec moi la presse suisse. Nous aurons des premiers numéros de journaux helvètes, avec notamment la reproduction du plus ancien journal francophone encore en activité, né à Neuchâtel en 1738.

 

Notre but est de thématiser sans polémiquer. Nous avons soumis tous les documents à l’UNESCO pour accord. Le respect des sensibilités est important. Les Finlandais et Indonésiens m’ont aussi approché car ils souhaitent organiser une journée sur la liberté de la presse.


Vous avez le sentiment que paradoxalement malgré son patrimoine, ses artistes et ses musées, la Suisse n’est pas assez reconnue comme un pays de culture. Pourquoi ?


Nous avons 4 langues nationales mais pas de noyau culturel commun. Le roman suisse n’existe pas au niveau national. La Suisse moderne est née en 1848. Le mot Culture ne figurait pas dans la Constitution. Il a fallu attendre l’an 2000, à l’occasion d’une révision de sa Constitution fédérale, pour y inscrire un article dédié à la Culture. Pour l’essentiel, il tient en deux alinéas :

 

1 : La Culture est sous la responsabilité des 26 cantons.

 

2 : La Confédération peut avoir des activités dans le domaine culturel pour autant qu’elles soient d’importance nationale.

 

On parle donc de subsidiarité de la Confédération par rapport aux cantons. En terme de financement, la Confédération dispose d’un budget d’env. CHF 300 millions par an, alors que celui des cantons réunis s’élèvent à CHF 800 millions. Les villes, qui ne sont pas citées dans la Constitution, investissent CHF 1,3 milliard par an. Ce qui fait que, proportionnellement à sa population, les pouvoirs publics de la Suisse investissent plus que les autres pays européens. A cela s’ajoute une très forte implication du secteur privé

 

C’est d’autant plus intéressant que lorsque vous prenez un indicateur tel que le Nation Brand Index qui représente la réputation d’un pays, arrivent en tête le chocolat, les banques, ou l’horlogerie mais jamais la culture ! Or, le PIB généré par la culture en Suisse est pourtant supérieur à celui produit par l’industrie horlogère. Le nombre de personnes travaillant dans le domaine culturel est supérieur à celui des banques et assurances.

 

De plus, nous avons un patrimoine et des artistes de renommée mondiale comme Giacometti, Le Corbusier, Blaise Cendrars, sans parler des modernes.


Quelle est votre opinion sur l’évolution et la préservation de la culture sur papier ?


Il existera toujours une nécessité et une volonté de garder et de diffuser du savoir sur papier. Google voulait numériser les oeuvres de la Bibliothèque nationale suisse lors de mon mandat à la tête de cette institution. Je m’y suis opposé. Nous aurions perdu tous droits sur la gestion des informations. La préservation du savoir doit demeurer une tâche régalienne. En outre, il ne faut pas oublier, et là c’est l’informaticien de formation que je suis qui parle, que les supports informatiques ont des durées de vie très courtes (estimées entre 3 et 5 ans), alors que le papier se conserve assez facilement jusqu’à 150 ans. Sur de longues périodes allant jusqu’à 100 ans, le coût de conservation pour le numérique est, beaucoup plus élevé que pour le papier (on parle de 50 à 100 fois !) car il est nécessaire de recopier les données tous les 3 à 4 ans sur un autre support. Le numérique est un système de diffusion, pas de conservation.


Le numérique ne conduit-il pas, paradoxalement, à un appauvrissement du savoir ?


En principe non, au contraire, puisqu’on améliore la diffusion de l’information. Néanmoins un aspect est méconnu. Dans les années 90 et jusqu’en 2005, lorsque j’étais à la Bibliothèque nationale suisse, seulement 4 à 5% des fonds des institutions patrimoniales avaient été numérisés. Or, à cette époque 85% des thèses de doctorat n’avaient qu’internet comme sources d’information. Elles risquaient donc de passer à côté de 90% du savoir ! Aujourd’hui, la situation a peutêtre évolué mais reste certainement assez critique. Il existe bien un problème de transmission du savoir. Une réflexion sur l’évolution des connaissances est primordiale à mettre en place. Notre exposition propose quelques pistes à sa manière.